entre la domination féminine de Elise Sutton
et le «SCUM Manifesto» de Valérie Solanas
Introduction
«Je suis adepte de la gynarchie.» ;
«je crois en la supériorité des Femmes.» ;
...d'autres recherchent des femmes adhérant aux idées de telle ou telle auteure...
Depuis presque 4 ans que je suis "dans" le BDSM, voici ce qu'il m'arrive de lire aussi bien sur des profils qu'en message de "candidature".
Si, au départ, cela avait tendance à me faire sourire de satisfaction, à me faire saliver, je me suis rapidement rendue compte que:
pour la plupart de ces hommes, ce ne sont que des mots, qu'une étiquette mise sur leurs fantasmes;
que, contrairement à ce que cela aurait pu laisser supposer, ils ne sont souvent pas plus serviles (que d'autres soumis) ni même plus respectueux envers les femmes que certains hommes "vanille" (cf un article qui avertit les futures Dominas sur les "misogynes déguisés en esclaves");
qu'ils utilisent des mots dont ils ignorent en fait tout le sens et toutes les implications (comme ceux qui se disent "esclave" mais qui ne cherchent en fait qu'une séance d'humiliation de temps en temps).
Je l'avoue, moi aussi, au début, je n'avais du concept de la gynarchie qu'une vision très vague et j'ignorais tout ce que ces mots impliquent, jusqu'où certaines idées gynarchiques vont.
Mon but dans cet article n'est pas de vous faire un essai sur la Gynarchie mais de clarifier le sujet, de vous dire ce dont il est exactement question. Je le ferai en vous parlant de certaines de mes lectures (a priori les plus emblématiques sur le sujet).
Définitions
Tout d'abord, parce que les mots ont un sens précis et qu'il est parfois bon de se les remettre en mémoire, voici un peu de vocabulaire de base.
gynarchie [1]
• Se dit d’un système politique, social ou familial qui est majoritairement ou en totalité contrôlé par des femmes
[Nous verrons plus loin que les adeptes de la Gynarchie sont pour un contrôle TOTAL]
gynocratie [2]
• Une gynocratie ou gynécocratie est un régime politique dans lequel le pouvoir est exercé par des femmes.
matriarcat [3]
• Régime d'organisation sociale dans lequel la femme joue un rôle politique prépondérant. (Le matriarcat n'est pas nécessairement lié, comme on peut le constater en Inde [Assam], à la filiation utérine : dans ce cas, matriarcat et patriarcat coexistent sans lien entre eux ; et dans d'autres cas, le pouvoir politique exercé par les hommes se transmet en ligne utérine.)
• Fonctionnement familial dans lequel la mère a une influence, une autorité prépondérante.
utopie [4]
• Construction imaginaire et rigoureuse d'une société, qui constitue, par rapport à celui qui la réalise, un idéal ou un contre-idéal.
• Projet dont la réalisation est impossible, conception imaginaire
féminisme [5]
• Le féminisme est un ensemble de mouvements et d'idées philosophiques qui partagent un but commun : définir, promouvoir et atteindre l'égalité politique, économique, culturelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes. Le féminisme a donc pour objectif d'abolir, dans ces différents domaines, les inégalités homme-femme dont les femmes sont les principales victimes, et ainsi de promouvoir les droits des femmes dans la société civile et dans la vie privée.
• Mouvement social qui a pour objet l'émancipation de la femme, l'extension de ses droits en vue d'égaliser son statut avec celui de l'homme, en particulier dans le domaine juridique, politique, économique; doctrine, idéologie correspondante.
Présentations des auteur-e-s et idées
Je vais vous mettre ici de longs passages trouvés sur le net (en vous citant les sources).
C’est un choix volontaire de ma part, volontaire car cela démontrera à tout à chacun que AVANT d’utiliser des mots, de se dire d’un courant de pensée, chacun peut trouver tous les éléments nécessaires pour s’assurer de quoi il parle exactement, que les informations sont très facilement disponibles pour qui s’en donne la peine.
Cela aura aussi le mérite, pour tous ceux que le sujet intéressent, de rassembler au même endroit des informations éparpillées.
1- La suprématie féminine ou l’autorité de la femme aimante
Elise Sutton: «Female Domination» 1990
«Sur son site, Sutton affirme qu'elle a étudié la psychologie. comme matière principale et la sociologie. comme matière secondaire dans une université du nord-est pendant trois années (1975-1978). Ensuite elle aurait fait des recherches dans le domaine de la sexualité humaine […]
Elise Sutton se proclame libertaire, chrétienne et féministe suprémaciste ; elle est surtout connue pour ce dernier aspect par le biais de son site web et de son livre Female Domination sur le sujet de la domination féminine.
Ses admirateurs affirment qu'elle apporte une approche pratique et une perspective fondées sur la réalité dans ces pratiques sexuelles souvent mal comprises. Sutton est connue pour encourager des relations amoureuses et affectueuses dans lesquelles la femme est dominante et l'homme soumis. Elle recommande la Loving Female Authority («autorité de la femme aimante») où la femme gouverne son homme soumis avec amour et respect.
Ses critiques affirment que ses arguments sont fondés sur une mauvaises interprétation des connaissances en psychologie et en biologie et des principes religieux. La plupart des preuves citées par Sutton viennent de confidences qu'elle a recueillies comme conseillère de couples pratiquant le BDSM et de témoignages de ceux-ci à l'intérieur de la communauté BDSM.»
Livre: «Female Domination» (1990) (source)
«Dans son livre, Female Domination: An exploration of the male desire for Loving Female Authority, Elise Sutton examine le supposé désir de l'homme d'être dominé par une femme. Elle cherche sous une perspective psychologique pourquoi les hommes ont ce type de désirs, d'où viennent ceux-ci, et comment ces fantasmes reflètent ou influencent des changements sociaux potentiels. Sutton soutient que la domination féminine est une importante tendance constituée de plusieurs formes, expressions et styles de vie.»
Mon avis
Ce qui me gêne chez Elise Sutton c’est le fait qu’elle part du postulat que tous les hommes ont en eux un désir profond de soumission. Je trouve cette affirmation aussi peu fondée et réaliste que lorsque Freud affirmait en son temps que toutes les femmes ont le fantasme du viol.
Ce que j’apprécie, c’est qu’elle parle de relations Femme/homme aimantes et bienveillantes et que, comme le dit Ms Dana, «ce n'est pas une "idéologie", [...]. Pas de notion Darwienne dans tout cela, pas de notion religieuse non plus. Nous parlons uniquement de psychologie et sexualité et bonheur»
2- Gynarchie, saphisme et asservissement
Anne Lezdomme: «Le triangle gynarchique» 2017
Ce qu’on lit au dos de son livre : Anne Lezdomme, féministe et lesbienne, est bien connue des milieux gynarchistes français et internationaux. Elle a su, par le biais d’internet et de la presse, faire passer l’idée d’un mode de vie différent et plus harmonieux alliant la sensualité saphique de la Femme et le masochisme
- ce que l’on trouve sur le net: Anne Lezdomme (un pseudonyme) est l'auteur d'un livre qui définit pour la première fois le couple lesbien servi par un mâle soumis comme la cellule sociale parfaite de la future société gynarchique.
«Le Triangle Gynarchique est à la fois un essai psycho-sexuel présentant un nouvel art de vivre, un pamphlet socio-politique proposant une nouveau type de cellule familiale, un guide aux Femmes, mariées ou non, voulant se libérer du joug masculin, un manuel destiné aussi bien aux Lesbiennes qu'aux mâles en proie au mal de vivre et un recueil d'expériences apportées par des couples féminins servis par des mâles aux quatre coins de la planète. Le triangle gynarchique est en fait une nouvelle forme de rapports entre Femmes et hommes fondée sur l'aspiration saphique commune à toutes les Femmes et l'intrinsèque désir masochiste du mâle de se soumettre à la Femme. Selon l'auteure ces deux tendances sont parfaitement compatibles. Cet ouvrage envisage la question selon plusieurs points de vue : celui de la Lesbienne voulant conquérir une Femme mariée, celui de cette dernière, celui du couple lesbien établi et, naturellement, celui du mâle qui désire une place dans cette nouvelle organisation saphique du monde.»
Mon avis
Pas grand-chose à dire au sujet de ce livre sinon que :
(+) la gynarchie n’est envisagée que dans le cadre privé ;
(+) ce livre contient des petites idées pour organiser des relations Ds;
(-) comme souvent dans les milieux lesbiens, il y a mépris pour l’acte sexuel hétérosexuel et sublimation de l’acte sexuel lesbien (sa notion d' orgasme "lesbien" me laisse perplexe) ;
(-) la tendance à envisager l’homosexualité féminine et l’homosexualité masculine sous des angles différents : tandis que la femme devient lesbienne pour le plaisir qu’elle en retire, « l’homme se tourne vers l’homosexualité parce que sa mère, une belle-mère, une sœur, quelque fois même une épouse, l’aura par trop dominé, poussé vers une autorité qu’il ne possède pas naturellement, jusqu’à lui faire peur ».
Aline d'Arbrant: «La Gynarchie» 1997
Le livre « La Gynarchie »
synposis :
« La Gynarchie, chef-d'œuvre d'Aline Arbrant, a pris place aujourd'hui dans les bibliothèques et les librairies entre Le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau et le SCUM de Valérie Solanas, à laquelle d'ailleurs cet essai est dédié. Le mâle, ayant honteusement usurpé le pouvoir naturel assigné naturellement aux femmes se retrouve maintenant dans une complète dégénérescence et beaucoup de Sœurs se rendent maintenant compte que le temps est venu de lui prendre le pouvoir. Ce document donne les moyens théoriques et pratiques pour gagner ce combat et chaque femme peut et doit l'utiliser comme un outil pour bientôt, dans sa propre petite ou grande sphère, imposer la totale autonomie des Femmes et son nécessaire corollaire, l'esclavage des mâles. »
Quelques points de lecture analysés: à lire ici
Mon résumé perso du livre:
Deux postulats de départ sont posés par A.A. (le deuxième découlant du premier):
Elle considère que «la Gynarchie seule […] peut apporter le bonheur à l’espèce humaine».
Pour A.A, a Gynarchie est une société dirigée, politiquement (gynocratie [2] ), administrativement et sur le plan privé, uniquement par des femmes dans laquelle:
les femmes sont lesbiennes, car l’homme n’est pas indispensable à la reproduction et est, en matière de sexe, incompétent;
- Les hommes doivent être asservis, socialement, physiquement, mentalement, sexuellement et financièrement.
Ceci par tous les moyens possibles, comme par exemples:
- une éducation spécifique et limitée aux seuls usages qu’il sera fait de lui en tant que « mâle », à savoir servir les femmes (il n’aura donc pas accès à certains champs de connaissances) ;
- la stérilisation (une fois sa semence récupérée en vue de perpétuée l’espèce) ;
- droit de vie ou de mort sur les mâles.( droit à euthanasier un «mâle» qui ne serait plus utile (subjectif) et / ou en état de servir de part son état de santé);
- et autres "joyeusetés" …
Mon avis:
En conclusion de ce qui est écrit ci-dessus mais aussi de l’analyse détaillée faite, je considère que l'on peut avoir de ce livre 2 lectures très distinctes.
1- Au premier degré :
Aline D’Arbrant expose une théorie basée sur des arguments et des raisonnements très douteux voir malhonnêtes sur le plan intellectuel et en tire un idéal de société dont certains principes et valeurs sont tout aussi discutables sur le plan moral.
"Une auteure" qui dit avoir rencontré Valérie Solanas et s’est inspirée du «SCUM manifesto» pour en faire une version plus policée en:
- en retirant toute la vulgarité et la misandrie trop flagrante (par exemple: en ne justifiant le meurtre des «mâles» que par des raisons «humanitaires»);
- en essayant de faire passer cet ouvrage pour une réflexion censée et argumentée.
"Une femme" qui ne devrait à mon sens pas se prétendre «féministe» car ce qu'elle décrit va à l'encontre des valeurs d'égalité du féminisme [5] .
2- Au second degré :
Alain Bertrand, un homme, qui a lu le «SCUM manifesto» de Valérie Solanas et s’en est inspiré (en prenant soin d'enlever tout ce qui le dérangeait trop en tant qu'homme) pour rédiger son ouvrage, exprime son utopie [4] d’une société dans laquelle il pourrait enfin vivre pleinement et, surtout, sans honte (puisque tous les hommes subiraient la même chose que lui) ses propres besoin de soumission.
Maintenant, je me demande bien la réaction qu’il aurait si une telle société existait vraiment… LOLBref, tout ce livre n’est, ni plus ni moins, qu’un fantasme sexuel.
Néanmoins, il faut savoir que l'on trouve aussi dans ce livre:
3- Misandrie et extermination
Valérie Solanas: «SCUM manifesto» 1968
Qui est Valérie Solanas? (source Wikipédia vérifiée et recoupée avec d’autres sources)
« Très jeune, elle quitte sa famille abusive et vit à la rue, mendiant et se prostituant tout en continuant à étudier au lycée. Elle obtient ensuite un diplôme de psychologie à l'université du Maryland. »
Après que Andy Warhol refuse le script d’une pièce de théâtre qu’elle a écrit, « le 3 juin 1968, elle se rend à la Factory et tire trois coups de feu sur Andy Warhol. [...] Elle tire aussi dans la hanche de Mario Amaya et tente de tirer sur l'imprésario de Warhol à bout portant, mais son pistolet s'enraye.
Elle se rend ensuite à la police, affirmant ne rien regretter parce qu'il lui fallait protéger sa liberté. Elle est diagnostiquée schizophrène paranoïde et condamnée à trois ans de prison et de soins psychiatriques. »
Ce sera d’ailleurs seulement suite à cette tentative de meurtre qu’un éditeur décidera de publier le manifeste (on dirait aujourd’hui "pour bénéficier de l’effet buzz").
Le livre «SCUM manifesto» (format pdf)
Ce n’est absolument pas un ouvrage gynarchiste mais un manifeste anarchiste misandre qui propose aux femmes «de renverser le gouvernement, d'éliminer le système d'argent, d'instituer l'automatisation totale et d'éliminer le sexe masculin.»
Mon avis
Voici un extrait (qui reprend tout a fait ce que j’ai pensé à la lecture de ce livre) d’une critique que j’ai trouvé sur le net.
« En dépit de ces éclairs de lucidité [il faut resituer ce livre dans son contexte, les États-Unis, 1968], le texte est néanmoins gâché par une ribambelle d’idées plus que gênantes, voire même carrément craignos. L’essentialisation biologique sur lequel repose tout le discours de Solanas (« le mâle est un accident biologique ; le gène Y (mâle) n’est qu’un gène X (femelle) incomplet, une série incomplète de chromosomes.[…] La virilité est une déficience organique », clame-t-elle dès l’introduction) la conduit à ce qu’il faut bien appeler de la transphobie pure et simple (plusieurs paragraphes sur « les travelos » sont archi gênants), de même qu’à des propos clairement homophobes (ses considérations sur « le pédé »). On la sent fascinée, particulièrement dans les derniers paragraphes, par les recherches biologiques et le « contrôle génétique », ce qui rend ses essentialisations de départ plus angoissantes encore. Ses références aux méthodes des nazis pour anéantir les hommes (la nuit des longs couteaux, les chambres à gaz), si toutefois elles sont supposées être marrantes, m’ont semblé de très mauvais goût. La virulence du texte m’a aussi parfois laissée dubitative ; si Solanas a été très critiquée pour sa misandrie, j’ai surtout été frappée par les mots très durs qu’elle réserve à certaines femmes, celles « vendues à l’ennemi » étant qualifiées de « femmes-mecs », et reléguées au rang de « paillassons », « fifilles bien élevées », « lèches-cul », « adoratrices du veau d’or ». Les passages qui idéalisent les femmes dans les grandes largeurs m’ont tout autant gênée : postuler qu’elles seraient naturellement, biologiquement plus altruistes, compatissantes, profondes que les hommes me paraît aussi faux que sexiste. »
Conclusion de l’article
Qu'ajouter de plus à ce qui apparaît déjà évident dans cet article?
Il y a dans les idées concernant la Domination Féminine des degrés très divers, de l'amour à la haine, de la tolérance à l’extrémisme.
Ce qui m'a cependant le plus étonnée dans ces lectures c'est le fait que, plus les idées de toute puissance féminine se radicalisent (et en même temps celles contre les hommes), plus les propos à l’égard des femmes hétérosexuelles se durcissent jusqu'à devenir insultantes et méprisantes... Mais après tout, je ne devrais pas être étonnée: comment honnir une catégorie de personnes sans en arriver à insulter ceux/celles qui ne seraient pas du même avis?
Donc voilà, pour moi comme pour vous qui avez eu le courage d'aller jusqu'au bout de cet article, nous voici tous un peu plus informés sur ce qu'est la Gynarchie, sur ces mots employés trop souvent à tort et à travers, sur ces concepts vantés sans vraiment les connaitre.
Cela m'aura aussi permis de comprendre d'où sortaient certains fantasmes stéréotypés sur la domination féminine.
N'oublions jamais qu'il ne s'agit que de livres, que d'idées, de telle ou telle personne. Ce n'est pas la réalité. La réalité, c'est celle que chacun d'entre nous se choisit et se construit.
Et le BDSM là-dedans? La réponse est simple: il y a BDSM tant qu'il y a consentement et épanouissement des deux parties; il s'arrête là où commencent la haine et l'abus.
J'ajouterai aussi que, que l'on soit soumis ou Dominas, attention de ne pas choisir des mots à la légère... Que se choisir une étiquette c'est aussi être capable d'en assumer toutes les implications. Après tout, il ne viendrait à l'idée de personne de se dire nazi juste parce qu'il est d'accord avec une ou deux petites phrases dans «Mein Kampf» ! (oui je sais, la comparaison peut choquer mais à la lecture de A.A. ou V.S. on n'en est vraiment pas loin!).
Et puis franchement, messieurs, êtes-vous certains de ne pas confondre gynarchie et Femdom ? ;)
Et moi? Où est ce que je me situe dans tout cela?
Cela ne se devine pas à travers mes commentaires dans cet article? À travers ce blog?
Il faudra donc qu'un jour je me décide à faire un article à ce sujet ...
Eh oui, il va falloir attendre encore un peu 😜😂
Lady Agnès