Cet article ne parle que de ma vision à moi, que de ma façon d’envisager la pratique des cordes. Cela ne se veut ni une généralité ni la seule vision valable.
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«Là où se tissent les liens.»
E.
Comme beaucoup de personnes qui découvrent le BDSM et qui fouillent un peu sur la toile pour s’informer, j’avais entendu parlé du shibari mais je ne m’y étais pas intéressée plus que cela. Il suffit de voir certaines photos de personnes suspendues pour se dire, «oh la la ça a l’air super compliqué» mais surtout «ça a l’air super dangereux».
Mais comme dans ma pratique BDSM j’aimais contraindre et que je suis une personne curieuse, je me suis donc dit «pourquoi pas avec des cordes».
Et, quitte à essayer, autant que je m’informe sérieusement sur le sujet (comme je le faisais et le fais toujours à l’égard d’une nouvelle pratique). J’ai donc épluché la toile, trouvé plus ou moins facilement des informations, des tutos (eh oui, moi aussi j’ai fait cette bourde) mais aussi des informations de sécurité.
J’ai acheté 100 m de cordes de coton que j’ai coupé et que j’ai teint en rouge (depuis les joints de ma machine à laver sont rouges LOL).
Je me souviens encore de la première fois où j’ai attaché un soumis (c’était il y a 5-6 ans): je me suis dit «ouais bof, je vois pas pourquoi ils en font tous des caisses avec cette pratique».
Mais, quelques semaines plus tard, j’ai fait la rencontre d’une jeune femme qui arrivait juste dans la communauté BDSM. Nous avons sympathisé, elle m’a raconté faire des cordes avec un ou deux cordeurs du coin et m’a demandé si je voulais bien en faire avec elle. Elle voulait tenter avec une femme.
Il faut bien reconnaître que le résultat esthétique et technique n’y était pas mais ce que j’ai découvert ce soir-là, je ne l’oublierai jamais et a tout changé de ma vision des cordes.
Sentir le corps de la personne se détendre à chaque passage de cordes, sentir l’abandon, sentir le corps se retendre à chaque nouvelle tension de cordes pour ensuite se relâcher encore plus. Je comprenais qu’il fallait bien plus de confiance à une personne pour se mettre dans les cordes d’une autre qu’il n’en faut à un soumis pour se faire fouetter le cul.
Et ces sourires sur son visage, cet apaisement qui se dégageait d’elle.
Je comprenais que les cordes étaient un moyen de faire «voyager» une personne. Un voyage intérieur. Qu’en contraignant le corps, on libérait l’esprit.
Et enfin, une fois les cordes enlevées, cet état de relâchement total de son corps, lire sur son visage l’apaisement et la reconnaissance pour les sensations vécues…
Et me sentir envahie d’un profond sentiment de gratitude: pour la confiance qu’elle m’avait offerte, qu’elle se soit ainsi abandonnée, pour s’être autorisée cet abandon. Bien plus qu’un corps encordé, j’avais reçu un peu de son âme. Et c’était magique!
C’est à la suite de ce moment partagé que j’ai décidé d’explorer véritablement cette pratique.
Depuis, j’ai appris (au début auprès les mauvaises personnes puis enfin auprès de personnes réellement compétentes) et j’ai cordé diverses personnes (avec plus ou moins de plaisir), soit dans un rapport de domination soit dans un rapport neutre (même si il paraît que l’on y ressent tout de même mon coté dominant).
Cela m’ a permis, non seulement d’apprendre réellement la pratique (et je continue à apprendre) mais, surtout, cela m’a permis de définir précisément ce qui me convient et ne me convient pas dans cette pratique. Ce que je veux vivre et faire vivre dans ces moments-là.
Aujourd’hui, j’ai deux façons de pratiquer les cordes :
La
première, celle que
j’appelle «moment de cordes».
Il s’agit d’une session de cordes où j’ai juste l’envie et l’intention d’amener la personne à un état de bien être, à se laisser aller.
Dans ces moments, je suis totalement consacrée à l’autre. Je n’impose rien, je n’exige rien, je n’attends rien, je donne. Je suis comme une masseuse dédiée au bien être physique et cérébral de l’autre.
Ce n’est par pour autant que je n’y prends pas de plaisir, mais juste que mon plaisir ne passe pas par les mêmes canaux que dans d’autres pratiques, c’est juste la joie de voir l’autre personne bien.
La deuxième, que j’appelle «jeu de cordes»,
Là, j’ai envie de jouer, envie d’amener la personne à certes se laisser aller mais surtout à ressentir des sensations diverses et variées en fonction de ce que mes cordes lui «imposeront»: douleurs (voulues et contrôlées), contraintes plus ou moins fortes.
Dans ces jeux, je me sens clairement dominante et j’ai envie que l’autre se «plie», au propre comme au figuré, à l’intention que je lui communique à travers mes cordes et ma façon de les manipuler, de les poser, de les tirer mais aussi à travers la façon dont je manipule son corps.
Il y a donc clairement quelque chose de l’ordre de la domination, mais il ne s’agit pas d’une domination qui impose coûte que coûte (ce n’est pas ma vision de la domination y compris dans un rapport purement BDSM), d’une domination abusante et destructrice, il s’agit comme toujours d’une domination qui a pour objectif d’amener l’autre à s’abandonner, à s’affranchir de toute réflexion, à se laisser aller dans un abandon libérateur pour s’affranchir de tous les carcans que l’on s’impose ou qui nous sont imposés dans la vie normale, de permettre à l’autre d’exprimer, dans un cadre sécurisé et sécurisant, un lâcher prise qu’il ne peut exprimer autrement. Un voyage intérieur dont je suis la pilote.
Dans ce jeu, le flux est continu et dans les deux sens. Je communique quelque chose et je reçois ce que l’autre me donne de lui/d’elle. Là, mon plaisir se trouve dans le fait d’avoir réussi à obtenir ce que je suis allée chercher, d’avoir emmener l’autre à la destination que j’ai choisi (bien entendu avec pour frontières les limites définies au préalable).
Dans ces moments, je suis, à des degrés plus ou moins importants selon le contexte, chasseresse, joueuse, sadique, douce, ferme.
Il y a cependant dans ces deux versions, un point commun: L’envie d’apporter à l’autre quelque chose.
Et c’est dans cette manière d’aborder la pratique que tout se joue chez moi, ce qui va faire que je pratique ou non avec une personne.
J’ai eu l’occasion d’essayer, mais ça ne fonctionne pas, il ne se passe rien, je ne peux pas encorder une personne avec qui je n’ai pas déjà tissé un lien.
Cela a en partie à voir avec le fait que la pratique des cordes implique une proximité physique étroite, que cela implique de faire entrer cette personne dans ma sphère intime alors que j’ai tendance à maintenir les personnes dans la sphère sociale (cf différents niveaux de distances chez l'humain). Je sais qu’il y a des encordeurs qui parviennent très bien à passer de la distance sociale (de 120 cm à 360 cm) à la distance intime (moins de 40 cm) sans avoir besoin de passer par la case distance personnelle (de 45 cm à 125 cm), qu’il y a des personnes qui parviennent à être proches physiquement de l’autre sans avoir besoin de l’être sur le plan psychologique, mais moi ce n’est pas mon cas. (*)
Ma pratique étant basée sur ce que j’apporte à l’autre je ne peux pas le faire si je ne connais pas un peu cet autre, si j’ignore qui l’autre est, et encore moins si il n’y a pas chez la personne ce petit quelque chose qui va me donner envie de le lui apporter, si je n’ai pas envie de prendre cet autre dans mes bras. Comme certains ne pourraient pas partir en week-end avec une personne inconnue, je ne peux emmener dans un voyage de cordes une personne qui m’est inconnue et dont je ne peux pas dire que cette personne est une personne que j’apprécie (je ne parle pas d’appréciation sociale de surface, mais personnelle), une personne à qui je n’ai pas envie de faire un cadeau.
Cela a aussi à voir avec une histoire de confiance.
En effet, dans mes différentes expériences, j’ai pu me rendre compte que si un modèle doit avoir confiance en son encordeur, il faut aussi que l’encordeur ait confiance envers le modèle.
Cela peut paraître surprenant mais, si il est indéniable que le modèle se met en jeu physiquement et psychologiquement, il ne faut pas omettre que la personne qui encorde se met aussi en jeu psychologiquement. Ainsi, un modèle qui ne sait pas communiquer clairement avant, pendant et après et vous avez le risque de créer mal-entendus et blessures. Des incidents pouvant aller à l’accident qui ne laissent jamais un encodeur indemne émotionnellement (à moins d’être le dernier abruti qui ne voit en un modèle qu’un mannequin inanimé ou qu’une proie). Nul(le) n’est non plus à l’abri d’un(e) modèle qui crie au loup ou dont la fragilité psychologique vous explose «en pleine poire».
Il convient de ne jamais oublier que avant d’être Dom/me, riggeur, sub , modèle, nous sommes avant tout des êtres humains et que c’est ce qui nous définit en tant qu’être humain que nous «amenons» avec nous dans nos pratiques.
En résumé, même si je dissocie pratique des cordes et lien BDSM, et même si j’aime pratiquer les cordes avec ceux qui me sont soumis, je peux tout à fait corder une personne qui ne l’est pas. Mais mon envie et ma façon d’encorder la personne sera toujours la concrétisation du lien et se fera en fonction du lien que j’ai avec.
Voilà pourquoi ma recherche dans la pratique des cordes n’a rien à voir avec le fait que je sois Domme/encordeuse mais tout à voir avec l’être humain que je suis, je recherche un partage humain avant tout. D’ailleurs pour cela que lorsque je prends des photos de mes modèles encordés, je m’attache plus souvent à l’expression sur le visage ou ce que l’on peut voir du lien entre mes modèles et moi, que sur les cordes elles-mêmes.